05.11.2015 | sia online | Frank Peter Jäger

Congrès «Construction de remplacement | rénovation, critères de décision». Remplacer à bon escient

Assainir ou démolir? Organisé à Berne, le congrès «Construction de remplacement» du conseil d’experts SIA énergie a posé des jalons pour le développement systématique d’options et de critères décisionnels en matière de renouvellement du bâti existant.

Maintenant que la Confédération a ouvert la voie à la Stratégie énergétique 2050 et qu’un vote clair des citoyens pour mettre un frein à l’étalement urbain et pousser la densification vers l’intérieur est acquis depuis 2012, les assainissements énergétiques privilégiant la substance existante se voient de plus en plus remis en question. Si l’on veut atteindre les objectifs fixés dans la politique énergétique, le renouvellement du parc immobilier doit en effet avancer beaucoup plus vite que jusqu’ici et être associé à la densification de quartiers, car la Suisse croît.

C’est dans ce contexte que le congrès «Construction de remplacement | rénovation, critères de décision» organisé par le conseil d’experts SIA énergie a abordé le pour et le contre de la démolition/reconstruction d’ouvrages par rapport à leur assainissement. Le 24 septembre, 193 architectes et ingénieurs, maîtres d’ouvrage et urbanistes se sont ainsi retrouvés dans la salle du conseil de l’hôtel de ville de Berne pour prendre la mesure des enjeux et débattre de la problématique en fonction de leurs positions respectives. 

Évaluer les bâtiments sans préjugés

A côté des grandes entreprises immobilières, ce sont avant tout les pouvoirs publics ou les maîtres d’ouvrage institutionnels pour qui l’alternative entre assainissement et remplacement relève d’un choix crucial, car ils doivent répondre de leurs opérations et des investissements qui y sont liés auprès des élus, respectivement de leur organe de tutelle – et leurs décisions doivent intégrer le long terme.

Comme l’a expliqué l’architecte et membre du comité de la SIA Anna Suter, si l’on remplace, il faut que le remplacement soit justifié, illustrant son propos à la lumière de la rénovation de l’école professionnelle et centre de formation continue de Lyss qu’elle a elle-même menée à bien et plaidant pour une évaluation sans préjugés de bâtiments des années 1960, malgré leur mauvaise réputation a priori sur le plan énergétique.

Un exemple de remplacement «à bon escient» est celui du lotissement Grünmatt de la coopérative Familienheim Genossenschaft (FGZ), qui possède quelque 2300 logements dans le quartier zurichois de Friesenberg. Le président de la coopérative, Alfons Sonderegger, a explicité la décision de démolir et de remplacer par des immeubles neufs 64 maisons mitoyennes de 1929 au centre du lotissement. Outre leur mauvais bilan énergétique, ces habitations présentaient une substance médiocre, source de gros problèmes d’humidité. Dans ces «boîtes à rhumatismes» comme les surnommaient certains, on ne pouvait en effet plus adosser une caisse de livres à une paroi sans que les pages ne gondolent.

Au surplus, le remplacement se voyait justifié par la sous-utilisation de ce bien-fonds proche de la ville. Soit trois raisons qui, du point de vue des responsables de la FGZ, plaidaient en faveur d’une démolition. Au final, une parcelle qui accueillait à peine 200 personnes permet maintenant d’en loger 490 et les nouveaux immeubles récemment livrés par le bureau zurichois Graber Pulver Architekten offrent 155 appartements là où il n’y en avait que 64.

Pour ces nouvelles constructions, que les architectes ont implantées dans la pente en rangées légèrement incurvées, la coopérative a décidé de s’en tenir à une hauteur de trois étages, même si les indices d’utilisation auraient permis davantage. Comme l’a souligné Sonderegger, on y a délibérément renoncé en visant l’adhésion des habitants au projet. La surface habitable totale n’en a pas moins pu être triplée, avec une donnée de référence importante aux yeux du président de la coopérative: la surface de logement n’a augmenté que 31 à 33 m2 par personne. Il se félicite de pouvoir ainsi proposer davantage d’espaces de qualité à de nouveaux habitants, plutôt que du luxe résidentiel pour une minorité. 

Quel habitat voulons-nous pour demain?

Cette idée d’une amélioration qualitative globale fait écho aux objectifs déjà défendus le matin par l’écrivain et rédacteur à la FAZ Niklas Maak, lors du panel introductif intitulé «Perspectives». Consacré à nos aspirations futures en matière d’habitat, son exposé a présenté de nouveaux modèles de logement, par exemple à Berlin, en soulignant que les offres proposées tant par les pouvoirs publics que par des promoteurs commerciaux demeurent très éloignées des vrais besoins, car elles se calquent sur la société des années 1960. Selon Maak, avant de réfléchir à des énergies renouvelables et des systèmes d’isolation, on devrait commencer par se préoccuper de l’énergie sociale inhérente au logement.

Plutôt que de cimenter l’individualisation, les bâtiments devraient permettre la mise en commun et favoriser les usages collectifs au-delà de la famille nucléaire, qui ne concerne aujourd’hui guère plus de 20 % des habitants des grandes villes. La coopérative FGZ a précisément répondu à une telle demande: ses nouveaux immeubles disposent maintenant d’un local communautaire, d’un jardin d’enfants et d’une garderie, d’une résidence médicalisée, de deux ateliers et de deux appartements d’hôtes, ainsi que de chambres individuelles qui peuvent êtres louées par les occupants des unités voisines en fonction de leurs besoins – invités, constellations familiales modifiées ou personnes assistées. Toutes ces options n’auraient pas été réalisables dans le bâti ancien.

Critères de décision objectifs

Mais lorsque la situation n’est pas aussi claire que pour le lotissement Grünmatt, comment ingénieurs, architectes et propriétaires fonciers peuvent-ils parvenir à dégager des principes fondés et des critères objectifs pour évaluer un objet immobilier?

Autour de la deuxième table ronde de la journée, après la présentation des cas pratiques, Judit Solt, rédactrice en chef de TEC21 a abordé ce point: pour l’évaluation de l’existant, il importe de reconnaître des valeurs et la question décisive est de savoir qui est vraiment qualifié pour ce faire.

Un aperçu de ce qu’une telle démarche peut impliquer en pratique a été donné par Thomas Pfluger, architecte de la ville de Berne, à l’exemple du remplacement envisagé par ses services de l’école primaire de Kleefeld bâtie en 1972. Comme pour le lotissement zurichois de la FGZ, le vœu de densifier s’ajoutait aux défauts énergétiques et fonctionnels à corriger. La Ville a donc commandé à Metron AG une étude de variantes pour l’option du remplacement ou de la rénovation.

Il en a résulté un pronostic de coûts de 23 millions de francs pour la rénovation et de 26 millions pour le remplacement; mais à l’horizon du cycle de vie complet de l’ouvrage, la construction à neuf s’est révélée plus avantageuse. Ce qu’il y de remarquable dans cet exemple, c’est la démarche analytique adoptée par les concepteurs: l’étude englobait une matrice d’évaluation détaillée mettant en balance la qualité architecturale, la valeur urbanistique, les atouts fonctionnels, l’énergie grise, l’économicité, mais également les valeurs «identitaires» de l’alternative. La pondération de l’ensemble des facteurs a finalement débouché sur la décision de bâtir à neuf et un concours d’architecture a été lancé.

Renforcer le rôle des architectes

Selon l’architecte Armin Binz, membre de la commission SIA 2047, les communautés de mandataires regroupant des architectes versés dans les projets d’assainissement, des ingénieurs en énergie et des économistes de la construction sont les meilleurs garants pour une évaluation équilibrée de l’avenir d’un immeuble; Binz admet cependant que de telles équipes interdisciplinaires ne sont économiquement viables que pour de grands projets, mais pas pour la multitude de tâches de moindre envergure qui s’annoncent. A ses yeux, c’est là que les architectes doivent reprendre du terrain aux concepteurs spécialisés et faire la preuve de leurs compétences interdisciplinaires.

Les débats du congrès ont bien mis en évidence deux choses: premièrement que l’on obtient des résultats plus concluants lorsque le choix d’une solution intègre les objectifs énergétiques ou la densification envisagée dans une appréciation globale du statu quo et de son potentiel. Deuxièmement, les échanges animés entre le public et les conférenciers réunis à Berne montrent que la SIA a touché de réels enjeux lors de cette journée – car au moment de conclure nombre de problématiques n’avaient été qu’esquissées et le débat de fond ne fait que commencer.

Frank Peter Jäger, ing. dipl. en urbanisme, est rédacteur à la SIA; frank.jaeger(at)sia.ch


Documentation sur le congrès 

Construction de remplacement | rénovation, critères DE décision

Les exposés présentés lors du congrès peuvent être consultés en ligne sur

Exposés

Energie

 

 

L’ancien lotissement Grünmatt − pittoresque, mais délabré. (Photos: Johannes Marx / Archiv FGZ; Philip Heckhausen)

Remplacement à neuf en 2014: plus dense et polyvalent.