16.02.2011 | Adrian Altenburger

Perspectives énergétiques - Position de la SIA

Du point de vue de la commission de la SIA pour l'énergie (EK), la stratégie "Zero-Emissions-Architecture" lancée par le département d'architecture de l'EPFZ (DArch) n'est guère adéquate. Elle divise inutilement le monde professionnel et génère de l'incertitude. Récusant le sectarisme, la commission plaide en faveur de l'addition intelligente de mesures.

Le lancement de la stratégie "Zero-Emissions-Architecture" le 19 novembre 2011 par le département d'architecture de l'EPFZ (DArch) pour décarboner le parc immobilier suisse, divise les praticiens et indispose les maîtres de l'ouvrage. Dans le concert du développement durable, orchestre et public souffrent de l'entrée en scène de certains solistes qui introduisent une disharmonie manifeste. En fin de compte, cela ne profite ni aux solistes ni à l'orchestre et sape leurs crédibilités auprès des auditeurs. Chargée de ces questions depuis août 2010, la commission de la SIA pour l'énergie s'est penchée sur les thèses et positions défendues par les divers intervenants au débat lors de sa séance du 16 décembre 2010. Elle livre ci-après les arguments qui plaident en faveur d'une approche différenciée des enjeux, afin de favoriser une stratégie de transformation compréhensible et réaliste pour un parc immobilier suisse durable.

Non seulement, mais aussi

La question de savoir si le changement de paradigme prôné par le DArch EPFZ - soit l'abandon de l'efficience énergétique au profit de la suppression des émissions CO2 - est juste ou faux ne fait guère avancer le débat, car elle induit un schisme inutile au sein du monde professionnel qui déstabilise les maîtres de l'ouvrage. Si la commission de la SIA pour l'énergie est par principe ouverte à la discussion des priorités stratégiques, elle n'a en revanche aucune compréhension pour les approches sectaires, qui prêchent exclusivement la réduction des émissions ou les seules économies d'énergie. En 2009, la SIA a élaboré un modèle énergétique qui pose le principe fondamental suivant: "La consommation en énergie tout comme les émissions de gaz à effet de serre et d'autres toxiques, qui y sont liés, doivent être inclus pareillement à d'autres critères, lors de l'appréciation d'un projet de conception, construction, exploitation et déconstruction, donc pendant le cycle de vie complet [d'un ouvrage]." Autrement dit, la stratégie définie par la SIA en matière d'efficience énergétique et de rejets de gaz à effet de serre ne prône pas le "ou bien, ou bien", mais le "aussi", car c'est la seule manière de relever le défi dans sa complexité et sa diversité. A ce sujet, les "Objectifs de performance énergétique SIA" considèrent pour la première fois les flux d'énergie et de matières pour le bâtiment dans leur globalité en fonction des sources d'énergie primaires et des rejets de gaz à effet de serre. Contrairement aux principaux labels actuels, qui ne comptabilisent que la consommation liée au confort, ces objectifs prennent aussi en compte les besoins relatifs à l'affectation des bâtiments (locaux informatiques, ascenseurs, cuisines, etc.), l'énergie grise de construction ainsi que la consommation due à la mobilité liée à la situation de l'objet. Les émissions de gaz à effet de serre liées à ces facteurs additionnels de consommation sont également incluses dans le calcul. Or lorsqu'on comptabilise non seulement les flux nécessaires à l'exploitation du bâtiment, mais aussi ceux liés à son affectation, aux matériaux qui le composent et à la mobilité qu'il induit - comme le prévoient les objectifs de performance SIA -, on comprend vite que le débat actuel n'aborde pas complètement le problème posé par la volonté d'un parc immobilier écologiquement durable. A l'instar des labels et des prescriptions en vigueur, il se focalise pour l'essentiel sur les consommations et flux nécessaires aux applications thermiques et à l'exploitation, mais il ne suffit pas à répondre à la problématique globale - qui doit au demeurant aussi tenir compte du bâti dans les dimensions économiques et culturelles du développement durable. Des études et évaluations récentes montrent en effet que les labels Minergie et les prescriptions actuellement en vigueur n'incluent les besoins effectifs en énergie primaire qu'à raison de quelque 37% (pour les bureaux), respectivement 55% (pour le logement).

L'examen plus approfondi d'un immeuble administratif type a en outre révélé que, lorsqu'on décompte aussi l'énergie grise qu'il contient (env. 6%) et la mobilité qu'il induit (env. 38%), le label ne comptabilise plus que quelque 21% de l'énergie primaire effectivement consommée par son fonctionnement.

Ces exemples démontrent que ni les prescriptions, ni les normes et labels actuels, pas plus qu'une démarche focalisée sur l'absence d'émissions ne suffisent à une approche exhaustive et globale car ils ne tiennent pas compte de certains aspects essentiels du problème.

Potentiel et limites de l'efficience énergétique

Indépendamment de l'agent énergétique considéré (en équivalents CO2 ou en énergie primaire), la réduction des consommations est finalement aussi une question de développement économique durable. Car si la "Zero-Emissions-Architecture", telle que postulée, fait exclusivement appel à de l'électricité renouvelable, même les chauffages électriques directs redeviendraient logiquement soutenables, ce qui représente non seulement un non-sens thermodynamique, mais constituerait encore une aberration économique en plus des capacités électriques supplémentaires à fournir, du renforcement des réseaux de distribution et des installations du bâtiment. De même, on ne saurait sous-estimer le délai que nécessitera la substitution des agents énergétiques fossiles par des sources renouvelables. L'utilisation des ressources avec une efficacité optimale est donc non seulement un impératif écologique fondamental, qui présuppose encore de solides réflexions, mais elle devrait idéalement générer des synergies en faveur d'une durabilité globale. A titre d'exemple, on peut rappeler que même les systèmes de chauffage à basse température ne peuvent assurer une fourniture efficace d'énergie finale que si les pertes de chaleur par l'enveloppe du bâtiment demeurent elles-mêmes relativement basses, autrement dit que l'efficience énergétique ne dépend pas seulement de l'installation de chauffage, mais aussi des particularités du bâtiment. Pour la moyenne des immeubles suisses, avec une consommation thermique actuelle de 160 kWh/m2, la seule décarbonation dans le sens préconisé par la "Zero-Emissions-Architecture" n'aurait donc guère de sens. A l'inverse, une approche basée exclusivement sur l'isolation, notamment avec des standards qui excèdent le bon fonctionnement exergétique d'un chauffage à basse température, peut s'avérer absurde d'un point de vue économique. Les recherches de l'office fédéral de l'énergie montrent que, pour les immeubles administratifs en particulier, une vision différenciée est indispensable. Lorsque l'enveloppe d'un bâtiment offre déjà une bonne performance, l'ajout d'isolation thermique pour abaisser encore sa valeur U de 50% ne permet de diminuer que de 18% sa consommation d'énergie primaire, alors que pour les mêmes besoins en énergie utile, l'installation d'une pompe à chaleur efficace réduit cette consommation primaire de 27% (avec du courant CH-sources mixtes) respectivement de 70% (avec du courant vert).

Le point d'équilibre doit être à la fois mesuré en fonction de l'objet considéré, de la nature des sources d'énergie localement disponibles, ainsi que des évolutions du marché pour les prix de la construction et des énergies. Cette analyse sera proposée au maître de l'ouvrage à l'aide de comparatifs pour décision.

D'un point de vue purement esthétique, on peut comprendre que les architectes se sentent "brimés" par des produits d'isolation qui ne permettent pas toujours une intégration élégante - notamment pour les bâtiments existants - et qu'ils parlent de "carcan isolationniste". L'abandon de l'isolation constituerait donc un acte libérateur légitimé par la "Zero-Emissions-Architecture". Le parti pris est certes radical, mais il ne représente en aucun cas une avancée viable pour la culture architecturale. Les progrès actuels dans ce domaine - notamment des revêtements de façade basés sur des aérogels testés actuellement par l'EMPA, qui devraient offrir d'intéressantes possibilités en rénovation - indiquent que de nombreux matériaux isolants à haute performance arriveront très probablement bientôt sur le marché et permettront des solutions architecturales tout à fait inédites. Pour les constructions neuves, où la marge de manSuvre architecturale est par essence plus grande, les coefficients d'isolation exigés ne représentent déjà plus guère de contraintes aujourd'hui.

Possibilités et limites de la décarbonation

Le débat sur les risques climatiques n'est effectivement pas dominé par les questions de consommation d'énergie, mais par le problème des émissions CO2. Dans ce sens, la commission pour l'énergie de la SIA se félicite qu'à côté des valeurs cibles pour l'énergie (kWh/m2), les "Objectifs de performance énergétique SIA" intègrent désormais aussi celles concernant les émissions (kgCO2/m2), ce qui fait de l'abandon des énergies fossiles une mesure prioritaire pour les applications de production de chaleur stationnaires. Comme le réaffirme une récente étude de l'OFEN, le choix du système de chauffage et du vecteur énergétique ont souvent un effet de levier bien plus important pour la réduction des émissions CO2 que ce qui peut être obtenu par l'amélioration de l'enveloppe thermique.

Cela étant, la substitution d'agents fossiles par des pompes à chaleur efficaces n'est, d'une part, pas possible dans tous les domaines (applications nécessitant de hautes températures, sources de chaleur énergétiquement non favorables, nappes phréatiques protégées) et, d'autre part, pas (encore) compatible avec une stratégie à " zéro émissions " en raison de la consommation accrue de courant qu'elle entraîne et pour laquelle le recours à du combustible nucléaire est aussi un important critère défavorable. C'est pourquoi - outre la réduction des charges CO2 - il importe de ne pas négliger l'efficience énergétique en attendant les centrales d'énergies renouvelables techniquement faisables, mais qui ne seront disponibles qu'à plus long terme. De plus, si les parts de marché des véhicules électriques devaient significativement s'accroître dans les années à venir, la demande de courant se posera avec encore plus d'acuité.

Conclusion

La commission de la SIA pour l'énergie insiste sur l'importance de ne pas opposer des points de vue différents a priori, mais de développer et de mettre en oeuvre des concepts stratégiques optimaux pour chaque projet particulier. Du point de vue d'un développement écologique et économique durable, cela veut dire que la consommation (l'efficience énergétique) et les rejets nocifs (la charge CO2) représentent des critères d'égale valeur, qui devraient idéalement être optimisés de concert, sans oublier les aspects culturels et sociaux également en jeu. Une approche globale et raisonnée est donc la première condition pour viser un parc immobilier suisse durable. C'est la seule démarche valable pour cibler une société à 1-tonne-CO2 par an et par personne, sans tomber dans le gaspillage économique en négligeant l'efficience énergétique. Dans ce sens, la SIA défend une stratégie de transformation du patrimoine bâti en Suisse qui, outre les critères de performance énergétique établis, intègre celui des émissions de CO2. Cette stratégie exigera d'importants efforts de la part des architectes comme des ingénieurs qui seront beaucoup plus sollicités pour les transformations que pour de nouvelles constructions. Instituée sur des bases paritaires, la commission de la SIA pour l'énergie a ainsi décidé, lors de ses prochaines séances, de traiter en priorité les questions que pose la transformation du parc immobilier et de communiquer les réponses aux milieux intéressés.

Adrian Altenburger, président de la commission SIA pour l'énergie, adrian.altenburger(at)amstein-walthert.ch