15.05.2013 | sia online | Interview avec Michael Schmid

On n’a jamais fini

Concurrence exacerbée, complexité accrue des processus de construction et marginalisation sont quelques-uns des défis auxquels les bureaux d’architecture doivent faire face depuis un certain temps déjà. Le nouveau président du groupe professionnel Architecture de la SIA n’a pas de solution globale dans sa manche. Mais la réponse doit selon lui s’appuyer sur l’image professionnelle de l’architecte comme généraliste, qui fournit un résultat de qualité et sensibilise la clientèle à la plus-value qui s’y rattache.

Sonja Lüthi: Monsieur Schmid, quels sont les traits distinctifs de la culture architecturale pratiquée en Suisse?

Michael Schmid: Lorsqu’on compare la culture du bâti suisse à celle qui prévaut dans d’autres pays européens, on reste toujours frappé du soin extrême qui encadre les pratiques dans notre pays. Je veux parler de soin au sens le plus large: qu’il s’agisse de la façon de concevoir et réaliser un ouvrage ou de la manière dont les différentes parties au contrat envisagent leurs relations. En même temps, le renforcement continu de la pression concurrentielle au cours des dernières décennies est indéniable. Cela se manifeste par des planifications mal organisées, par une traque des coûts au détriment des architectes, mais aussi dans le ton employé sur les chantiers.

Une des tâches essentielles de la SIA est d’optimaliser les conditions d’exercice professionnel des concepteurs. Vous-même êtes membre de la SIA depuis 26 ans et partenaire d’un bureau d’architecture depuis 1990. Quel rôle a joué le soutien de la SIA dans vos activités professionnelles durant toute cette période?

Comme c’est probablement le cas de beaucoup de membres, la SIA s’est longtemps limitée à une organisation un peu vague pour moi. La revue professionnelle et les normes représentent sans doute le principal lien entre les usagers ordinaires et la SIA. Ce n’est qu’au cours de mon mandat de président de la section bernoise, entre 2001 et 2007, que j’ai été amené à découvrir et à apprécier tout l’éventail des activités déployées par la Société.

Si la SIA vous paraissait vague, pourquoi y avez-vous déjà adhéré peu d’années après l’achèvement de vos études d’architecte?

Je suppose que nombre d’architectes tiennent à s’affilier dès le début de leur carrière pour le gage de sérieux que représente le label SIA. Et c’est à mesure que l’on avance dans son parcours professionnel que l’on réalise toute l’importance des différentes prestations assurées sous son égide. En ce qui me concerne, j’ai en outre ressenti le besoin de participer activement à l’évolution de notre cadre professionnel.

Quelles ont été à cet égard vos principales satisfactions comme président de section?

Un des projets majeurs auxquels j’ai collaboré est certainement le développement du règlement de construction et la création du comité Cityscape pour la Ville de Berne, des engagements largement portés par la section. Il s’agissait à la fois d’élaborer un nouveau règlement et de remplacer l’ancienne commission d’esthétique – de plus en plus critiquée pour ses liens jugés trop étroits avec la scène architecturale locale – par le comité Cityscape (Stadtbildkommission) actif depuis 2005. Son rôle est de conseiller les autorités sur les questions prépondérantes pour l’image de la Ville, l’organisation urbaine et le développement du cadre bâti. Nous avons alors délibérément veillé à placer des spécialistes externes au sein de cet organe.

Quelles thématiques allez-vous aborder comme président du BGA?

Je bénéficie a priori de conditions idéales puisque la SIA vient de finaliser sa réorganisation et qu’elle va pouvoir renouveler ses engagements sur les questions de fond. Nous sommes en train de définir le mode de fonctionnement du BGA et les thèmes auxquels il entend se consacrer. Ce travail programmatique doit être achevé pour l’été, après quoi nous serons à pied d’œuvre pour le concrétiser.

Dans nombre de contextes problématiques pour les architectes, on a le sentiment que les choses ne bougent guère. On peut notamment citer la marginalisation que vous évoquiez au début de l’entretien. Faut-il y voir une fatalité?

Il est certain que notre monde s’est complexifié d’une manière irréversible. Je n’en demeure pas moins convaincu que la bonne architecture reste tributaire d’un environnement ou l’architecte travaille comme généraliste et peut se concentrer sur sa tâche originelle, soit la satisfaction des besoins humains dans leur dimension spatiale. Cela n’inclut pas uniquement la conception, mais également l’organisation de projet, avec la gestion des délais et des coûts. Dans le déroulement des opérations, l’architecte agit en quelque sorte comme relais de commande: le processus doit être planifié de telle manière que les bonnes questions lui soient soumises au moment opportun. C’est à mon sens le point déterminant. Dans la pratique actuelle, il est cependant courant que les décisions majeures soient prises en l’absence de l’architecte. Or je pense que ce problème ne peut être combattu que si nous parvenons à sensibiliser les maîtres de l’ouvrage à la plus-value que nous leur apportons par notre travail. Notre devoir est ensuite d’en fournir la preuve concrète par des résultats de qualité supérieure.

Ce défaut de valorisation du travail de l’architecte ne se traduit pas seulement par sa marginalisation, mais aussi par une faible rémunération. Comment y réagissez-vous en qualité d’entrepreneur?

En ce qui concerne les métiers créatifs, je suis arrivé à un constat récurrent: on peut très bien consacrer un laps de temps variable à une même tâche. Pour rédiger un article, vous pouvez par exemple introduire quelques mots clés dans Google et boucler votre texte en une demi-heure. Ou prendre deux semaines afin de mener une recherche sérieuse. Il en va de même en architecture, notamment en matière de projet. Vous pouvez facilement y investir deux fois plus de temps pour arriver à un résultat final un peu plus abouti. Je pense que c’est un trait fondamental des métiers d’art: on n’a jamais fini. Au bureau, je considère toujours que le défi majeur consiste à réussir ce grand écart entre, d’un côté, l’investissement consenti pour répondre aux désirs du maître de l’ouvrage tout en satisfaisant notre exigence propre et, de l’autre, la mise au pas de ces aspirations personnelles.

Vous parlez d’une irréversible complexification de notre monde. Quel profil un architecte doit-il développer pour être à la hauteur des exigences posées par la pratique actuelle?

Un solide bagage technique constitue la qualification que notre bureau recherche en priorité. Cela englobe l’organisation du processus d’étude, la mise en œuvre correcte du projet développé, les questions d’énergie et d’installations techniques – sans oublier la gestion efficace des masses de données liées aux ouvrages de quelque envergure. Ces tâches prennent aujourd’hui beaucoup plus de place que le travail de projet proprement dit.

Face à ces besoins, le marché des professionnels qualifiés est aujourd’hui largement asséché. Et plus on s’éloigne des centres, plus le problème se fait criant. En même temps, les modèles de formation, appliqués en particulier par les hautes écoles spécialisées, sont perçus comme lacunaires par beaucoup de bureaux. Les aptitudes techniques énumérées ci-dessus ne sont plus enseignées qu’en marge. Il y a donc inadéquation entre les programmes proposés par les écoles et les besoins réels des praticiens. Or cela n’affaiblit pas seulement les bureaux eux-mêmes, mais la qualité de la branche dans son ensemble.

Si je résume, il y a d’une part un urgent besoin de sensibilisation générale à la qualité en architecture et, d’autre part, de formations qui habilitent mieux les futurs praticiens à fournir effectivement la qualité souhaitée.

J’y ajouterais le préalable suivant: il faut des conditions cadres convenables. A cet égard, les mots clés se déclinent en procédures loyales, honoraires décents, processus de planification clairs. Soit un contexte qui nous oblige à fournir un travail conceptuel de qualité supérieure, qui assure une plus-value aux maîtres d’ouvrages et à la collectivité. Enfin, la valeur ajoutée de nos prestations doit faire l’objet d’une communication adéquate auprès du grand public.

Quels sont à votre sens les plus grands défis qui attendent les architectes suisses à court terme?

La judiciarisation  rampante du quotidien professionnel absorbe toujours davantage d’énergies, ce qui ralentit la construction mais ne garantit aucune qualité. Dans leur ensemble, les contrats épais de plusieurs centimètres et les règlementations appliquées à chaque détail créent davantage d’insécurité que de clarté. Tant les règlements que les normes – à l’inverse de la tendance amorcée au niveau européen – doivent rester simples et intelligibles. La collaboration basée sur la confiance et une attitude constructive doivent demeurer au fondement des échanges.

Face à ces multiples défis, comment envisagez-vous votre tâche de président du BGA?

La SIA est aujourd’hui une Société bien établie, qui réunit des disciplines très différentes. Cette diversité fait notre force, mais recèle aussi un danger d’éparpillement. Le rôle de l’architecte généraliste consiste en l’occurrence à assurer la synthèse des savoirs spécialisés. Comme président du BGA, je me vois donc appelé à réarticuler constamment les divers aspects impliqués pour les présenter dans leur globalité.


Repères personnels

Michael Schmid (*1957), architecte diplômé EPFZ, est partenaire depuis 1990 du Büro B à Berne, qui emploie quelque 45 personnes. De 2001 à 2007, il a présidé la section bernoise de la SIA et il a pris la tête du groupe professionnel Architecture (BGA) début 2013. début 2013.

Le BGA

Réunissant 7000 membres, le groupe professionnel Architecture, ou BGA est le plus grand des quatre groupes représentés au sein de la SIA. Il y assure la prise en compte des intérêts professionnels propres aux architectes, aux architectes d'intérieur, aux architectes paysagistes, aux aménagistes et aux économistes de la construction. Il consolide et renforce leur image auprès du public et se prononce sur les questions relevant des politiques professionnelles et de la formation dans leurs domaines.

Journée du BGA 2013: à vos agendas!

Cette année, la Journée du groupe professionnel Architecture sera consacrée aux options de rénovation durables. Elle aura lieu le vendredi 6 septembre 2013 à l’OFSPO à Macolin (architecte Max Schlup, 1970; rénovation Spaceshop Architekten, 2010). Des informations complémentaires suivront.

 

Groupe professionnel Architecture (BGA)

Michael Schmid, nouveau président du groupe professionnel Architecture de la SIA (Photo: Michael Mathis)