11.01.2012 | sia online | Markus Gehri

Nouvelle législation sur les produits de construction

Avec le passage de la directive relative aux produits de construction (DPC ou CPD pour l’acronyme anglais) au Règlement Produits de Construction (CPR) légalement contraignant au niveau européen, la Commission fédérale des produits de construction s’active pour adapter la législation suisse à la nouvelle donne. Dans le présent article, l’auteur fait le point sur ce changement et en évalue la portée pour les bureaux d’étude.

La loi suisse sur les produits de construction (LPCo) est entrée en vigueur en 2001, soit douze ans après la directive européenne correspondante (DPC). Après que la LPCo (complétée par l’ordonnance OPCo et l’Accord intercantonal AIETC) eut été reconnue par l’Union européenne comme équivalente à la DPC comme base suisse de la «législation sur les produits de construction», les produits de construction ont pu être intégrés comme 14e chapitre dans l’Accord relatif à la reconnaissance mutuelle en matière d’évaluation de la conformité (ARM). Depuis lors, des organismes d’accréditation suisses peuvent établir pour les fabricants des certificats de conformité reconnus dans toute l’Europe.

La DPC européenne a servi de base à l’élaboration d’une multitude de normes européennes dans le domaine des produits de construction. Celles-ci fixent les caractéristiques essentielles qu’un produit ou un groupe de produits doivent présenter pour être incorporés à un ouvrage, et contiennent des déclarations sur la manière dont un fabricant doit déterminer, vérifier et faire attester ces caractéristiques. L’adéquation d’un produit à sa mise en œuvre peut aussi être prouvée autrement, soit par le biais d’un agrément technique par exemple. Une telle reconnaissance formelle permet au fabricant de commercialiser son produit sur tout le territoire de l’UE, sans que des certifications nationales complémentaires puissent lui être réclamées. En ce qui concerne les produits de construction qui jouent un rôle mineur en matière de santé ou de sécurité, une déclaration du fabricant suffit. Selon l’actuelle LPCo, des produits fabriqués «dans les règles de l’art» peuvent en outre «continuer à être mis sur le marché» en Suisse.

Situation actuelle
L’entrée en vigueur de la LPCo n’a jusqu’ici pas changé grand-chose sur le marché suisse des produits de construction. Les (quelques) organismes d’essais et de certification intéressés et aujourd’hui habilités à certifier des produits s’efforcent de décrocher des mandats. Les grands fabricants qui souhaitent diffuser largement leur production dans la zone UE se sont depuis longtemps tournés vers des instituts d’accréditation étrangers, tandis que la LPCo exempte largement les petits fournisseurs de l’obligation de certification.
Dans la mesure où les spécialistes des études et de la réalisation d’ouvrages se renseignent par d’autres moyens sur la qualité des produits employés, ils n’accordent en principe pas beaucoup d’importance au marquage CE associé à leur conformité (marquage qui n’est au demeurant pas mentionné dans la LPCo). En conséquence, les quelque 500 normes européennes de produits aujourd’hui en vigueur (avec les normes d’essais et de compréhension qui leur sont rattachées) ne suscitent pas beaucoup d’intérêt et les prescriptions correspondantes sont reprises par la SIA dans la collection des normes nationales sans grand effet.1

Portée du nouveau règlement européen sur les produits de construction
Le remplacement de la DPC par la CPR intervenu début 2011 au niveau européen entraîne des renforcements tant au niveau formel que matériel. Comme un règlement européen – au contraire d’une directive – relève du droit impératif pour tous les États membres de l’UE, son intégration dans les différentes législations nationales n’est plus nécessaire. Pour les fabricants, l’application jusque-là facultative des normes européennes de produits se mue dès lors en obligation. Ceux-ci peuvent certes continuer à passer par des agréments ou, pour les petits fournisseurs, se limiter à des descriptions techniques complémentaires qui indiquent quelles normes sont à la base de leur produit. Au moins une des caractéristiques énumérées dans les normes doit être déclarée. Cette obligation de documentation est au surplus explicitement étendue à d’autres opérateurs économiques tels qu’importateurs, distributeurs et représentants du fabricant.
Responsable de la législation suisse en matière de construction, l’Office fédéral des constructions et de la logistique (OFCL) s’est empressé de lancer une révision de la LPCo. Créée lors de l’élaboration de cette loi, la Commission fédérale des produits de construction (COPCO) – dont la SIA est membre – s’est donc réunie à quatre reprises durant deux jours depuis juin 2011 pour adapter et reformuler la loi et son ordonnance et rédiger les messages correspondants. Le paquet ainsi ficelé sera prochainement mis en consultation auprès des offices concernés, avant d’être présenté en consultation publique aux associations professionnelles dès juillet 2012. En comptant le délai de traitement par le parlement, une entrée en vigueur du nouveau texte est au plus tôt prévue au second semestre 2013. A côté des nombreuses dispositions dictées par l’Europe, les auteurs de la révision se sont aussi efforcés d’y intégrer des éléments prévus par le législateur suisse (notamment dans la Loi sur la sécurité des produits LSPro), afin de pouvoir maintenir une densité réglementaire raisonnable. Lors des débats pour la refonte de la LPCo, la nécessité d’en étendre les obligations à d’autres «opérateurs économiques» a longtemps fait l’objet de doutes. Une telle disposition aurait aussi concerné les responsables des études comme «déclencheurs» d’une commande et les entrepreneurs comme «utilisateurs» des produits de construction. Leur inclusion n’est toutefois plus prévue dans le projet actuel.
Malgré tous les efforts consentis, les nouveaux textes législatifs en préparation ne constitueront sans doute pas un plat allégé et devraient encore susciter diverses occasions de débat. Si, contrairement aux attentes, la nouvelle législation se voyait balayée par les Chambres fédérales ou des mouvements extraparlementaires, l’Accord ARM conclu avec l’UE sur les produits de construction devrait probablement être dénoncé. Comme par le passé, c’est alors le principe dit du Cassis de Dijon qui s’appliquerait, ce qui autoriserait la commercialisation en Suisse de tous les produits de construction agréés en Europe, sans pour autant que les fabricants helvétiques puissent automatiquement se prévaloir de la réciprocité.

Pertinence pour les concepteurs d’ouvrages
Les responsables des études ne sont pas explicitement mentionnés dans la législation suisse sur la construction. C’est pourtant le concepteur d’un ouvrage qui en prescrit les spécifications fondamentales (du béton à la robinetterie en passant par les vitrages) ou qui choisit même les produits de construction avec son maître de l’ouvrage. Cela va du projet de matérialisation initial, suivi des spécifications de détaillées dans les appels d’offres, jusqu’à la remise de l’ouvrage, éventuellement complétée par la commande de vérifications finales.
L’objectif premier des révisions législatives sur la construction est une ouverture des marchés favorisant une concurrence accrue. Cela implique malheureusement aussi que les produits soient à l’avenir moins identifiés et choisis en fonction de leurs propriétés physiques que par le biais de la masse de documents qui les accompagne – qu’il s’agisse de spécifications, d’attestations techniques ou de certificats. Les concepteurs devront relever de nouveaux défis pour naviguer adéquatement sur ce flot d’informations.
Indépendamment du fait que le fournisseur doive répondre à ses obligations et que le maître d’un ouvrage en soit le garant final, le concepteur responsable des études et de la réalisation endosse le rôle d’intermédiaire entre des idées abstraites et la réalité bâtie. Cela lui confère aussi le devoir d’assurer la diffusion de l’information dans une mesure appropriée.
A prochain terme, les concepteurs ne se verront probablement pas directement impliqués par les dispositions régissant la construction. Ils doivent cependant se préoccuper des caractéristiques de produits décrites dans les normes, vu que celles-ci sont à la base même de la législation. Il n’existe malheureusement pas encore de tableau synoptique récapitulant simplement les produits de construction concernés et les caractéristiques énumérées dans les normes correspondantes. L’auteur du présent article pense que le Centre suisse d’études pour la rationalisation de la construction CRB pourrait en l’occurrence se voir obligé d’adapter ses catalogues d’articles normalisés.

Conclusions
Du point de vue du soussigné, les évolutions en cours appellent trois conclusions et une stratégie pour la normalisation suisse.

  1. La compétence des concepteurs et des entrepreneurs demeure la meilleure garantie pour le choix optimal des matériaux de construction adéquats. Tout recours exclusif aux normes et toute participation à une sous-enchère ruineuse («mais la norme a bien été respectée») se font au détriment de la culture bâtie. Non seulement la qualité des ouvrages en pâtit, mais la collaboration entre les intervenants s’en trouve détériorée.
  2. La complexité croissante de la construction et l’extension démesurée des marchés concernés (des carreaux sont importés d’Inde et les carreleurs viennent de Pologne) requiert l’instauration d’un certain ordre. La législation sur les produits de construction peut partiellement répondre à ce besoin. La question de la surveillance des marchés demeure toutefois en suspens et ne saurait être résolue au prix d’un effort supplémentaire imposé aux opérateurs.
  3. Le déferlement d’information qu’entraîne la législation sur les produits de construction est symptomatique de la virtualisation actuelle du processus de construction. Dans le cadre des réflexions lancées sur le Building Information Modelling (BIM), de premières idées se font jour pour délimiter le rôle que le concepteur doit, peut et veut endosser pour répondre à ce défi croissant.
    En matière de normalisation, une attitude coopérative envers l’UE est indispensable pour la Suisse. Mais s’impliquer davantage dans la normalisation des produits n’est pas un objectif de la SIA. Elle peut en revanche envisager une collaboration active dans le domaine des centres d’information sur les produits également prévus dans la législation.

Markus Gehri, responsable Normes et Règlements SIA