23.10.2017 | sia online | Frank Peter Jäger

L’interdisciplinarité, vecteur de valeur ajoutée

380 personnes ont pris part à l’édition 2017 du congrès des techniques du bâtiment organisé par la SIA à Lucerne. Adrian Altenburger, co-initiateur de la manifestation nous livre ses impressions.

Quelle a été la principale motivation à l’origine de ce congrès?
Premièrement, je partage avec la SIA une ambition de longue date: le rapprochement entre chercheurs et praticiens dans le domaine de la technique du bâtiment. Deuxièmement, depuis l’adoption de la Stratégie énergétique 2050, il est devenu important de contribuer à sa mise en œuvre par des plates-formes d’échange entre professionnels telles que celle-ci. En troisième lieu, telle que je la conçois, la technique du bâtiment est une discipline systémique, dont la valeur ajoutée tient à l’interdisciplinarité. C'est pourquoi il nous tenait à cœur de créer des passerelles entre le domaine CVCS (chauffage/ventilation/climatisation/sanitaire) et celui du génie électrique et de la domotique.

Malgré votre grande implication dans l’organisation, l’une ou l’autre intervention a-t-elle particulièrement suscité votre intérêt?
Si je devais n’en choisir qu’une, je mentionnerais celle du professeur Werner Sobek de Stuttgart. Il a su démontrer de manière très convaincante que la construction durable ne tient pas au nombre d’objectifs, mais à la rigueur avec laquelle ils sont mis en œuvre. En ce sens, nous devrions nous en tenir à un faible niveau de réglementation, et tabler, comme nous l’avons fait jusqu’à présent, sur la compétence et la capacité des acteurs du secteur à assumer la responsabilité qui est la leur.

Il me semble qu’aujourd’hui, des techniques de pointe font la valeur d’un bien immobilier...
Effectivement. La qualité architecturale et la situation ne sont plus les deux seuls facteurs entrant en ligne de compte. De la technique du bâtiment, qui se doit d’être sobre et efficiente, on pourrait dire qu’elle représente la « valeur synergique » d’un bien. Cela suppose non seulement une ingénierie de qualité et des artisans qualifiés, mais également une exploitation compétente du bâtiment. Or, c’est précisément sur ce dernier point que le bât blesse: je suis persuadé que cette dimension a, en partie, été négligée de manière inadmissible. D’où le choix de la thématique du « performance gap », c’est-à-dire l’écart fréquemment relevé entre consommation d’énergie réelle et projetée, pour cette première édition du congrès.

Jusqu’à une époque récente, l’efficience énergétique était principalement assimilée à l’isolation et à la réduction de la consommation d’énergie. Aujourd’hui, l’optimisation de l'exploitation des bâtiments et les avancées des techniques du bâtiment ont remis en cause la primauté de ces variables. Rendront-elles pour autant l’isolation superflue?
Tant que nous vivrons sous un climat avec des températures oscillant entre -10°C et +32°C, nous ne pourrons nous en passer. Mais ce n’est pas la seule chose. Au-delà de la question énergétique (kWh), le remplacement des énergies fossiles émettrices de CO2 par des énergies renouvelables et des technologies efficientes me paraît plus important encore. Le meilleur moyen de générer des synergies est d’associer pompes à chaleur judicieusement utilisées, solutions d’autoproduction d’électricité et de free cooling (des dispositifs de refroidissement de l’air fonctionnant sans apport d’électricité) à des systèmes de stockage d’énergie thermique et électrique. Au final, il s’agit d’envisager le bâtiment de manière systémique et d’en optimiser tous les paramètres. Cela peut également passer par des technologies de commande intelligentes, permettant une adaptation dynamique à des besoins et des conditions changeants. Toutefois, les prérequis mentionnés restent essentiels.

La Suisse forme-t-elle suffisamment de professionnels?
L’excédent d’offres d’emploi dans le domaine de la technique du bâtiment ne résulte pas uniquement de la conjoncture favorable dont bénéficie le secteur de la construction. Le problème est endogène: la branche n’investit pas suffisamment dans la formation des jeunes. Premièrement, au lieu de permettre à des apprentis doués de passer une maturité professionnelle, on préfère les utiliser comme ressources humaines à bas prix dans les bureaux ou sur les chantiers et on laisse ainsi échapper l’opportunité d’exploiter leur potentiel.
Deuxièmement, si les hautes écoles ont étoffé leurs programmes par des formations ayant une proximité thématique avec la technique du bâtiment, les diplômés qui en sont issus ne peuvent pour autant prétendre à des postes de concepteurs qualifiés. On comprend donc leur frustration lorsqu’ils ne parviennent pas à trouver un emploi après l’obtention de leur bachelor. C’est pourquoi je souhaite que les hautes écoles coordonnent leurs offres de manière plus molaire au lieu de céder à une logique commerciale.

Parlons « Low-Tec / No-Tec »: nombreux sont les architectes qui, aujourd’hui, conçoivent les bâtiments non pas en tant qu’éléments bâtis, mais en ont une vision technicisée. Toutefois, un grand nombre d’entre eux se montre sceptique face à cette approche, et souhaite un retour à moins de technologie. Est-ce conciliable avec la technique du bâtiment moderne?
Cette exigence est non seulement fondée, mais elle constitue une évidence pour tout bon ingénieur. La mise en place de solutions élégantes suppose une démarche interdisciplinaire, et requiert plus de travail qu’une accumulation de solutions ad hoc qui, une fois en exploitation, ne sont ni comprises, ni utilisées de manière efficiente. Il s’agit de développer des synergies entre architecture, ingénierie des structures et technique du bâtiment et de traduire dans les faits le principe « autant de technique que nécessaire, aussi peu que possible » – qui ouvre d’intéressantes possibilités allant au-delà des trois disciplines susmentionnées et s’arrimant à une forte implication des propriétaires et usagers. Sobriété: tel est le maître mot dans ce contexte. Grâce à la numérisation croissante de la conception, il est aujourd’hui facile d’étudier un grand nombre de variables. Plus il y a de technique, plus les coûts d’ouvrage sont élevés et plus les ingénieurs gagnent d’argent: ce qui est un problème dans la structure tarifaire ne doit pas les détourner de la nécessité de faire preuve d’inventivité et développer des solutions astucieuses de manière désintéressée.

Sur le plan politique, quelles orientations appelez-vous de vos vœux?
Les premiers jalons ont déjà été posés – l’adoption de la Stratégie énergétique 2050 et le MoPEC 2014 prouvent qu’ils bénéficient d’une large assise. Je pense qu’il est particulièrement important de mettre l’accent sur la sixième phase partielle « Exploitation ». Dès 2015, la SIA avait d’ailleurs déjà posé les bases réglementaires avec les cahiers techniques « Tests intégraux » et « Optimisation énergétique ». Il appartient désormais aux cantons d’ancrer ce texte – facultatif – dans la pratique en rendant ses dispositions contraignantes. En outre, j’attends des décideurs politiques qu’ils promeuvent de nouvelles technologies et méthodes en se montrant ouverts à l’innovation, en encourageant les start-ups et en maintenant une certaine souplesse réglementaire.

Les préparatifs de l’édition 2018 du congrès des techniques du bâtiment sont déjà lancés. Est-il appelé à devenir un format durable?
Oui, nous entendons l’organiser à un rythme annuel. A mon sens, il est préférable de miser sur la qualité plutôt que sur la quantité afin de ne pas peser sur les agendas déjà chargés des personnes intéressées. Le prochain congrès aura lieu début octobre 2018.

Merci pour cet entretien!


Prof. Adrian Altenburger, ingénieur CVC dipl. ETS/MAS arch. ETHZ/SIA; vice-président de la SIA; responsable de l’IGE, institut spécialisé en énergie et technique du bâtiment à la Haute école de Lucerne; e-mail: adrian.altenburger(at)hslu.ch

Prof. Adrian Altenburger