« Les frontières entre ville et campagne s’effacent »

L’architecte et urbaniste Ariane Widmer Pham de Lausanne était co-commissaire de la deuxième édition de la « Biennale i2a » à Lugano – et dresse un bilan positif.

Madame Widmer Pham, la Biennale i2a que vous avez organisée à Lugano avec Ludovica Molo et Caspar Schärer avait pour thème : « La société du futur entre urbanité et nature ». Quelle est la principale conclusion que vous tirez de ces échanges ?
Ariane Widmer Pham : Que la notion de limite entre ville et campagne est plus que jamais dépassée. Je perçois toujours d’avantage notre territoire comme un tout. Aujourd’hui, la pure ruralité est incontestablement une image du passé – entre autres parce que les modes de vie se ressemblent de plus en plus. « Le paysage est devenu un concept intégral », a souligné à juste titre Claudia Moll de la Fédération suisse des architectes paysagistes.

Qu’est-ce que cela signifie pour les territoires en Suisse ?
Cette constatation nous incite à rechercher des solutions nouvelles de mise en réseau d’espaces. Paolo Poggiati, responsable de l’office tessinois du développement territorial, a très bien exprimé la situation actuelle : « Nous sommes à la croisée des chemins entre ce qui était et ce qui n’est pas encore. » La réalité nous montre que nous sommes parvenus à un tournant : les territoires se transforment à un rythme accéléré et cherchent leur nouvelle identité.

Il est donc question d’identité ?

L’hésitation entre appartenance à une identité rurale et la réalité urbaine touche particulièrement les agglomérations suisses. Ces territoires indécis ont besoin qu’on leur donne un visage, une identité qui exprime les nouvelles réalités. Jonathan Sergison a adressé aux architectes et urbanistes une injonction à cet égard : « Look carefully and then make interpretations ». Ces lieux ont effectivement besoin d’observations fines et d’interprétations de l’existant particulièrement soigneuses.

Il n’en va pas seulement de la question identitaire mais également d’autres aspects bien concrets : explosion des flux de transport, problèmes environnementaux, étalement urbain, ségrégation sociale...
En effet, je me demande parfois si nous ne sommes pas au bord d’un point de rupture, avec de grands bouleversements, ou si nous allons être capables de prendre un virage. Une chose est certaine : nous avons besoin d’engagement. Nous devons agir et nous avons, en tant qu’acteur du territoire, une responsabilité collective. La complexité sociale et territoriale ne doit pas être considérée comme un obstacle mais comme une chance. Car elle laisse aussi place à la créativité.

Une planification bien pensée est-elle suffisante ? Les bons jalons ne doivent-ils pas être posés au niveau politique ?

Certes. Dans un environnement qui est pris dans un processus de transformation toujours plus rapide, les problèmes doivent être abordés sur plusieurs fronts. La politique a un rôle fondamental à jouer. Le territoire et la société ont besoin de politiques visionnaires qui ouvrent de nouveaux champs d’action. Comme l’exprime Peter Swinnen, l’architecte avec son projet peut fonctionner comme « policy whisperer » et exercer une influence constructive. L’architecture est à considérer comme un révélateur.

Quelques exemples significatifs provenant de l’étranger ont aussi été présentés, par exemple dans la région Pays de la Loire…
Les projets de Frédéric Bonnet, enseignant à Mendrisio, illustrent parfaitement ce qui est possible lorsque les politiques s’engagent pour un renouvellement de leur ville. La maire de la ville de Nantes en France a lancé un programme de rénovation urbaine dont le point fort a été d’agrandir le champ de réflexion et d’intervention. Au lieu de se concentrer uniquement sur des « non-lieux » de la périphérie de Nantes et des problèmes du centre-ville, le grand territoire est devenu le point de départ de l’approche. Cet élargissement de la perspective a permis de reconnaître la valeur de bien commun et de repère identitaire du paysage de la Loire. Avec des exemples comme celui-ci, nous voulions, en tant que commissaires de la Biennale, faire découvrir de nouveaux horizons et offrir des perspectives sur des lendemains désirables.

Ariane Widmer Pham, arch. dipl. / urbaniste EPF/SIA/fsu/fas de Lausanne, membre du comité de la SIA

Ecouter, prendre note − participants au programme de conférences de la « Biennale i2a »

Un « policy whisperer » très écouté : l’architecte belge Peter Swinnen