13.06.2018 | sia online | Claudia Schwalfenberg

Biennale Architettura 2018 : scénographie et sociologie de l’habitat

Pour l’ouverture de la Biennale d’architecture de Venise, la Suisse a abordé le thème de l’habitat par deux approches radicalement différentes : d’une part des photos de logements vides, prêts à être aménagés, et d’autre part un sondage.

Avant même d’être le lauréat du Lion d’or de la Biennale de Venise 2018, le pavillon suisse a suscité un grand enthousiasme, y compris parmi la délégation du comité de la SIA. En évoquant de façon humoristique et distanciée des intérieurs standardisés, le house tour, qui transpose en une installation visitable à plusieurs échelles les photos de sites web d’architectes suisses, s’est avéré particulièrement convaincant. A l’inauguration, le président de la SIA Stefan Cadosch a commenté l’ouvrage ainsi : « Ce projet est rafraîchissant et véhicule d’une manière plaisante des messages subliminaux – on se demande entre autres si la complexité souvent invoquée de l’architecture suisse n’est finalement pas si considérable. » Simone Tocchetti, membre du comité, a ajouté : « C’est vraiment suisse, particulièrement raffiné. On y retrouve tout ce contre quoi nous luttons. »

Sur fond d’humour
Les autres membres de la délégation ont également été séduits. Daniele Biaggi et Daniel Meyer ont apprécié le fait que les échelles faussées du pavillon amusent même les enfants. Bien que l’installation soit très accessible, il est recommandé de la visiter deux à trois fois, comme l’a souligné Urs Rieder : « C’est surréaliste. C’est l’échelle et elle seule qui crée la différenciation. » Ariane Widmer a renchéri : « Le pavillon est en définitive impénétrable. On y découvre que le thème de la biennale, Freespace, recèle aussi cet appel : libérez l’espace ! » Anna Suter résume ainsi l’impression générale : « Le pavillon suisse questionne la construction actuelle de logements d’une manière à la fois bienveillante et critique. »

Un roadshow organisé par Pro Helvetia et la SIA en amont de la Biennale avait encouragé à « la discussion, la réflexion et au développement du projet ». Pour couronner le tout : la contribution primée résulte pour la première fois d’un concours remporté par une équipe multinationale de jeunes architectes (Alessandro Bosshard, Li Tavor, Matthew van der Ploeg et Ani Vihervaara).

En marge de l’inauguration du pavillon suisse, le président de la Confédération Alain Berset s’est entretenu avec Stefan Cadosch. Il l’a remercié pour l’initiative de la SIA visant à établir la culture du bâti comme nouveau champ politique, initiative qui a aussi préparé le terrain pour la déclaration de Davos. Alain Berset a indiqué qu’il continuerait à intervenir dans le dialogue international et qu’il comptait pour cela comme d’habitude sur la SIA. Il souhaite développer petit à petit le message culturel de la Confédération et demande un peu de patience.

A la Biennale, l’Office fédéral de la culture a abordé d’une toute autre manière le thème de l’habitat, en complément aux questions d’aménagement intérieur et de conception normalisée soulevées par le pavillon suisse. Un sondage auprès de 1000 personnes vivant en Suisse en a été le point de départ. Cette étude sur la culture du bâti au quotidien a révélé que 72 % des personnes interrogées préfèrent une zone villas classique à une « zone contemporaine de logements collectifs » ou « zone d’habitat contemporain », relativement dense. Plus de la moitié affirme en outre ne pas disposer de suffisamment de possibilités de participation.

Créer une agora pour la société
A l’occasion d’une table ronde avec Alain Berset le 26 mai au Palazzo Trevisan, le sociologue Felix Keller a démontré l’importance de contextualiser ces chiffres. Selon lui, le mythe de la maison individuelle est l’expression d’un désir d’autonomie en période d’incertitude économique et sociale. L’enquête a cependant permis d’établir des parallèles entre les besoins des personnes interrogées et le Manifeste sur la culture du bâti publié en 2011 par la SIA. « L’environnement propre, soigné et calme », l’aspect le plus important aux yeux de ces personnes, correspond à l’idéal formulé dans le Manifeste de créer une « agora » pour la société. Felix Keller plaide donc pour se rattacher aux images collectives existantes et les développer. Il estime par contre que « le harcèlement déjà presque rituel de la population suisse par ses experts » ne sert à rien, car « le changement passe par la compréhension ».

Photo: Orion Hasanaj