02.06.2016 | tec21 | Interview avec T. Celiker, M Hug, I. Cathomen, S. Cadosch et D. Ménard

«Urbanisme de qualité et bon rendement vont de pair»

L’entretien que Tayfun Celiker, Ivo Cathomen et Marcel Hug, les représentants de l’Association suisse des professionnels de l’immobilier (SVIT), ont eu avec Stefan Cadosch et Dani Ménard, président de la section zurichoise de la SIA, révèle de nombreux points de recoupement thématiques.

Les architectes produisent-ils aujourd’hui réellement ce dont le secteur immobilier a besoin?

Tayfun Celiker: Lorsque je demande autour de moi, les exemples positifs de collaboration dominent clairement.
Dani Ménard: Je constate que de nombreux architectes de renom cherchent à collaborer avec les membres de la SVIT, avec des experts en immobilier. Si le sujet n’est peut-être pas si fréquemment abordé, c’est précisément parce que c’est un modèle de réussite.

Il n’est pas aisé pour les architectes de limiter leurs interventions afin que les bâtiments répondent aux besoins du plus grand nombre d’usagers possible. L’accent mis sur la valeur marchande n’entraîne-t-il pas des biens immobiliers lambda sans âme?

T. Celiker: Non, pas du tout. Les spécialistes de l’immobilier obéissent au primat de la rentabilité et de la viabilité commerciale. De ce point de vue, le constructeur a autant intérêt à bâtir un bien qui forge une identité que le bureau d’études. Sa tâche est de concilier tous les intérêts, y compris les intérêts urbanistiques, et de défendre ses arguments. C’est un dialogue qui génère des solutions viables.

S. Cadosch: Le bureau d’études doit, de son côté, faire preuve de beaucoup de ténacité pour développer le potentiel d’un projet en dépit de toutes les résistances rencontrées. Chaque bien immobilier comporte deux aspects: un côté privé, le client qui paie a le droit d’avoir ce qu’il a commandé. La fonction d’usage doit être remplie. Le second aspect relève de la collectivité: il faut tenir compte des voisins et du contexte urbain.

Marcel Hug: Si un architecte commence à s’occuper de commercialisation et qu’à l’inverse, l’expert en immobilier se casse la tête sur des questions d'aménagement, cela pose problème. En revanche, si les limites sont définies avec soin, chaque partie peut mettre en valeur ses points forts.

Le secteur immobilier réalise-t-il des immeubles en fonction des besoins réels du marché?

Ivo Cathomen: Ce serait une grande négligence que de ne pas tenir compte des évolutions démographiques lorsqu’on investit dans l’immobilier. Les tendances majeures telles que les ménages unipersonnels, le vieillissement de la population et la mobilité croissante sont partie intégrante du développement de projet. Il faut cependant accepter que le parc de 3,5 millions de logements n’évolue que très lentement en Suisse.

Quel rôle jouent les évolutions techniques et économiques du bâtiment?

M. Hug: L’internationalisation croissante de la propriété immobilière dans le secteur commercial, la multitude de normes, de standards énergétiques et de labels constituent un enjeu important pour le secteur immobilier. Cette évolution met ici nos associations au défi d’offrir ensemble un soutien à leurs membres et d’intégrer cette perspective dans les normes.

S. Cadosch: La rénovation énergétique de 1,4 million de bâtiments dans notre pays est un gros enjeu. Le second enjeu est la transformation de l’aménagement du territoire. Ces deux tâches sont étroitement imbriquées. C’est l’ensemble du secteur du bâtiment, mais aussi les milieux politiques, le troisième acteur, qui sont ici sollicités. Les gens n’acceptent la densification du bâti vers l’intérieur, c’est-à-dire dans leur propre jardin, que si elle satisfait à des exigences qualitatives élevées.

La SVIT accompagne-t-elle cette tendance au développement intérieur? Ses membres sont-ils aujourd’hui plus fortement attachés qu’auparavant aux biens existants?

I. Cathomen: Soyons francs, la densification vers l’intérieur n’est plus guère d’actualité. La raison en sont les mauvaises conditions-cadres mises en place par les communes. Il est beaucoup plus économique de construire à la campagne. Si l’on veut être provocateur, on ne peut que conseiller à nos membres de ne pas y toucher, d’éviter, par exemple, de réaliser une construction de remplacement ou d’exhausser une maison à Zurich.

Vous voulez dire que les milieux politiques ont proclamé un objectif d’aménagement du territoire, mais qu’ils laissent la branche de la construction se débrouiller seul avec la mise en œuvre, voire lui mettent parfois des bâtons dans les roues?

I. Cathomen: Prenons la révision du règlement des constructions de la ville de Zurich, un mauvais exemple. La densification est comme un jeu où les participants se renvoient la balle. Le thème manque d’attrait.

D. Ménard: Je ne suis pas de cet avis. Il existe à Zurich des lotissements de 90 ans où la densification intérieure a permis de doubler la surface habitable. Mais en matière d’augmentation du degré d’utilisation par exemple, la ville a les mains liées. Elle doit respecter les lois cantonales et fédérales. Il existe des potentiels de densification. Pour les découvrir, il suffit, selon moi, d’apporter quelques corrections à la loi sur les constructions, afin d’exploiter à fond le potentiel pour les quelque 80 000 habitants supplémentaires prévus d’ici à 2035. Ce sujet serait également un gisement pour la collaboration avec la SVIT.

Quelles sont les tâches où vous voyez et réfléchissez à des synergies? La SVIT et la SIA peuvent-elles les aborder ensemble? 

M. Hug: Je vois des points communs dans la formation initiale et la formation continue. Nous nous intéressons aux compétences que doit posséder un gestionnaire immobilier ou un courtier d’ici cinq ou dix ans. Un échange avec les experts de la SIA serait ici utile. 

D. Ménard: Il y a une série d’interfaces entre la SIA et la SVIT. Les deux parties ont certainement de nombreux projets et idées pour renforcer leur collaboration.

 


Les participants à cet entretien:

Tayfun Celiker, directeur de l’Association suisse des professionnels de l’immobilier SVIT Suisse et membre de la direction

Marcel Hug, directeur de la SVIT Swiss Real Estate School SA et responsable de la formation initiale et continue en qualité de membre de la direction

Dr Ivo Cathomen, membre de la direction de la SVIT et chargé des questions de politique et d’édition, notamment pour la revue spécialisée SVIT Immobilia

Stefan Cadosch, président de la SIA et associé chez Cadosch & Zimmermann Architekten. 

Dani Ménard, associé chez mépp, Ménard Partner Projekte AG, président de la section zurichoise de la SIA

 

Rahel Uster et Frank Peter Jäger, rédacteurs de la SIA, ont réalisé cet entretien; rahel.uster(at)sia.ch, frank.jaeger@sia.ch